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"Le cours des temps" par Leïla Simon, 2018

Les œuvres de Jean-Baptiste Caron nous offrent souvent un sentiment ambivalent. A chaque fois de légères perturbations alimentent notre imaginaire. On se retrouve – sans même s’en rendre compte – à évoluer dans un univers suspendu. Les déclencheurs de ce basculement proviennent de jeux avec la gravité, l’immatérialité, l’optique… Basculement alors qu’il semble délicat de se frayer un chemin. Des boules de béton sont ainsi coincées dans les alvéoles de sphères pourtant si transparentes ; nous expirons un peu de nous sans être happés par les miroirs ; la matière a été creusée sans avoir été transpercée… Si l’idée de passage est bien présente il s’agit plus ici d’évoquer des circulations. Alors que nous butons sur les accès envisagés, notre regard et notre esprit bifurquent pour parcourir les mouvements interceptés par diverses matières. En captant ces différents mouvements1 (suspendu, dévié, sous-entendu, imprimé, figé, etc.) l’artiste nous donne à voir différents états qu’il s’agisse de transformation, de gravité, d’équilibre / déséquilibre, de presque rien. En captant ces différents mouvements: suspendu, dévié, sous-entendu, imprimé, figé, etc. Il nous donne à voir le Temps. Nous nous retrouvons à faire l’expérience du temps qui est, qui passe ou qui est passé. Certaines oeuvres ne donnent aucun indice sur la faisabilité de leur condition puis à l’inverse chez d’autres on peut, par esprit de déduction, visualiser les gestes qui ont été nécessaires à la production de la forme. Ce temps propice à la réalisation de l’oeuvre est ici stoppé puis figé au point d’en imprégner l’oeuvre. Parfois il nous est aussi donné à voir le temps qui s’étire. Il est ainsi décortiqué dans ces moindres détails. C’est ainsi que des secondes deviennent des millénaires, qu’une sphère ne prend jamais son envol, que des matières se liquéfient, se ramollissent sans pour autant passer au stade suivant. Un carottage du temps se déploie sous nos yeux. Nous avons également le temps suspendu à la limite du vacillant, nous faisant appréhender le moindre claquement de doigt pouvant tout ramener dans le cours du temps. Si tel était le cas des chutes seraient à envisager. Alors que Sisyphe s’est vu condamné à faire rouler éternellement un rocher sur une colline qui – avant d’en atteindre le sommet – en redescend à chaque fois, Jean-Baptiste Caron suspend un instant cette boucle infernale. Nous laissant ainsi dans la crainte d’une chute ou d’un envol pouvant arriver à chaque moment. D’autre fois, l’artiste nous accorde brièvement la possibilité de voir l’œuvre dans son entièreté. Le temps nous file entre les doigts. Aucune possibilité nous est offerte pour le figer. L’oeuvre nous est révélée dans un souffle aussi éphémère qu’impalpable. Plus récemment nous découvrons le temps décalé. Nous pouvons re-voir ou ré-entendre ce qui a eu lieu ici même, là où nous nous trouvons. Il nous est également signifié que notre présence n’est pas sans conséquence dans l’ordre des choses. Plus Jean-Baptiste Caron nous donne à voir plus les règles de la logique semblent s’effacer nous laissant croire à la seule action de la magie. Effacement pour mieux (dé)voiler ce qui est donné à voir. L’artiste agit moins dans un geste démiurgique que dans un acte révélateur. Il se trouve finalement être un passeur offrant la possibilité au regardeur de devenir actif. Passeur révélateur non sans une pointe d’humour car il vient jouer avec le Temps. Il le perturbe, nous perturbe au point que l’on se demande ce qui est illusion et ce qui ne l’est pas.

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"Jardin d'Hiver" par Thomas Fort, 2015

Jardin d’hiver, la nouvelle exposition de Jean-Baptiste Caron à la galerie 22,48 m², résonne comme un moment de latence et de distorsion du temps, où soudainement l’invisible se perçoit, l’insaisissable se capture et l’improbable se réalise de façon surprenante. Un souffle furtif l’inspire et insuffle d’étonnantes transformations tant au niveau des œuvres qu’à celui de l’espace qui les accueille. L’artiste investit la galerie avec un ensemble inédit d’installations, de sculptures et de tableaux dans lesquels il explore les possibles de la matière afin d’y trouver de nouvelles forces en présence. Les matériaux sont ainsi du plus noble comme le marbre au plus commun comme le béton, utilisés pour traduire un territoire de l’imperceptible. L’air y est la proie ; permanent et omniprésent, il demeure a priori insaisissable. L’artiste met alors en place divers stratagèmes des apparences, comme autant de révélateurs de cette réalité invisible. Il ne se fait pas pour autant scientifique, ni même botaniste. Il tend plutôt à se créer le personnage d’un géologue de fiction, expérimentant le réel, usant d’un certain nombre de techniques pour trouver des indices à la vérité qu’il s’est lui-même constituée. Il cultive un jardin de formes parsemé de fabriques, d’objets artisanaux étant aussi bien des attributs de la friche industrielle que ceux du terrain vague. Roche, cire, fer à béton traduisent cet univers délaissé tout en proposant de nouvelles métamorphoses. Nous sommes invités à traverser un espace où l’entropie n’est plus seulement un chaos, mais devient un faux terrain, une zone indéterminée dans laquelle prennent naissance des volumes. Il s’agit peut-être de suivre Gilgamesh – héros sumérien ancestral auteur du premier récit de notre Histoire – et de parcourir en son souvenir un jardin de pierreries imaginaire, de fantasmer une telle épopée afin de prendre conscience de la condition humaine. Les œuvres de Jean-Baptiste Caron invitent le regardeur à réfléchir sur la notion de temps, le sien et celui du monde dans lequel il évolue. Ainsi la fonte de fer employée par l’artiste afin de figer pour l’éternité un souffle d’air humain, n’est-il pas paradoxalement annonciateur d’un état mortel propre à notre existence. Cependant si la chute adamique reste inéluctable, l’artiste évite toute représentation vaniteuse préférant mettre en scène une « danse de la vie humaine » dans l’écho implicite de la peinture éponyme (1640) de Nicolas Poussin. Ce mouvement n’est donc pas celui qui marque un terme, mais plutôt celui qui annonce une diversité de possibilités. L’artiste montre en ce sens le potentiel de destruction, mais aussi et surtout de construction et de transformation propre à chaque être. Il dresse un jardin paradoxalement en ruine et en émergence, en attente, presque en hibernation et pourtant animé par un souffle perturbateur. Ce dernier, bruit à nos oreilles, caresse notre visage et étonne notre regard au moment où nous découvrons les formes qu’il a produites guidé par l’artiste. Il finit par modifier subtilement notre perception visuelle et haptique de l’espace d’exposition. La galerie se transforme avec « Jardin d’hiver » en un espace hétérotopique, l’espace d’une utopie localisable et de stratégies identifiables. Michel Foucault y entendait un territoire qui dans le réel nous inviterait à l’élaboration par la pensée d’un monde nouveau. Celui-ci resterait irréalisable et pourtant deviendrait un refuge inspirant et éveillant l’imaginaire. Cette hétérotopie s’inscrit donc comme un lieu fertile, virtuel et réel. Nul jardin, nulle végétation ne viendront recouvrir la galerie. Nous proposons plutôt aux visiteurs de l’imaginer entre les œuvres et à travers elles, comme une forme possible, « comme un tapis où le monde tout entier vient s’accomplir » tel que le désignait Foucault. Pour lui, ce « tapis était un jardin mobile à travers l’espace ». Le jardin reste ici une forme en mouvement, car inspiré par le parcours et les sensations mêmes du regardeur. L’exposition pourrait être simplement l’écho d’une serre délaissée, offerte à l’hiver. Cette ruine n’est cependant qu’une stratégie des apparences, offrant des indices pour entrevoir l’air et son absence.

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Extrait de Daria de Beauvais pour l'exposition "Meltem" au Palais de Tokyo, Mars 2013.

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Jean-Baptiste Caron s’approprie la part de poésie que chaque objet, même le plus insignifiant, porte en lui, afin de faire oeuvre. A partir d’éléments très simples - poussières, béton, courant d’air - l’artiste joue les prestidigitateurs et détourne les règles de la nature, qu’il s’agisse d’attraction terrestre ou de force de gravité. Avec un langage minimal et quasi-immatériel, l’artiste cherche à brouiller la frontière entre le domaine de la pensée et celui du possible, repoussant toujours un peu plus loin les limites.

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"Degrés d'incertitudes" par Nathalie Desmet, 22,48m2, Janvier 2013.

 

Le travail de Jean-Baptiste Caron semble vouloir confronter les lois de la physique classique à une poétique de l’incertitude. à l’aide d’un vocabulaire formel évoquant le glissement imperceptible d’un état vers un autre : transformation, évolution, involution, entre-deux ou inframince, l’artiste remet au goût du jour la valeur du doute et de l’incertain. 

Avec Mécanique du vivant (2012), la trajectoire d’une sphère en béton, au lieu de parcourir une ligne droite, décrit une spirale d’un type particulier : celle qui prend comme proportion le nombre d’or. La spirale d’or, forme qui lie le monde invisible au monde visible, et qui sous-tend le cosmos en raison de sa présence constante dans la nature, n’est perceptible ici que dans le mouvement de la sphère. La divine proportion, comme l’a surnommée Lucas Pacioli au 16e siècle, « un trésor d’un précieux et si rare secret», se retrouve de manière plus cocasse dans Le Petit Attracteur (2012). Les relations du corps humain avec la divine proportion s’expriment dans cette oeuvre par un effet mécanique singulier constaté sur le propre corps de l’artiste. Chaque jour son nombril accumule des fibres de couleurs variées et produit des petites pelotes nommées très sérieusement par certains spécialistes peluca umbilicus. Elles donnent au centre de gravité de l’être humain une fonction d’un genre bien étrange. Le titre fait référence au grand attracteur, un amas de galaxies et de matières constitué par l’attraction des masses de l’univers, et commente les effets parfois inédits de la force gravitationnelle sur notre corps. Ce que l’on considère habituellement comme les effets du désordre d’un système, ou d’une dynamique ne produisant rien de valable, est intérrogé et réorganisé. Les produits de l’entropie font l’objet d’un réinvestissement. Ainsi la poussière ne retourne pas à la poussière.

Avec A l’aplomb des hauteurs (2012), la traduction matérielle de cette force gravitationnelle est réalisée à l’aide d’un fil à plomb, cependant la masse est devenue poussière. Transformer le plomb en or a longtemps été la quête de l’apprenti alchimiste, Jean-Baptiste Caron préfère la poussière à l’or. Plus incertaine, plus volatile, plus à même de traduire l’axis mundis de notre temps présent, l’axe verticale qui régit l’ordre de l’univers. On peut parier que le mouvement pendulaire permettant de trouver son point d’équilibre est virtuellement sans fin. L’instrument de mesure, de rectitude qu’est le fil à plomb, devient symbole d’une verticalité difficile à maintenir. A l’inverse, la bouteile en plastique transmutée en verre Et soudain le réel vacille,(2013) tient son aplomb d’un équilibre en apparence instable.

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Texte par Camille Paulhan, Hippocampe, Février 2013

Ce n'est pas la première fois que Jean-Baptiste Caron expose à la Galerie 22,48m2. C'est pourtant la première fois qu'il y a quelque chose à voir; sa toute première exposition en 2011 interdisait l'entrée de la galerie, où pourtant l'espace avait été dédoublé par un jeu de reflets. Après cette proposition pour le moins expérimentale, Jean-Baptiste Caron a cette fois-ci choisi de présenter plusieurs oeuvres récentes, dans la continuité d'un travail discret sur la matière. Poussière, recherche d'instabilité, peluche de nombril, spirales hasardeuses... : le travail du jeune artiste s'inscrit à coup sûr dans la lignée d'une "esthétique dispersée", semblable à celle définie par le critique d'art Gilbert Lascault dans ses "Ecrits timides sur le visible". Les sciences dures ou pures, en tout cas dites exactes, sont ici légèrement déplacées: un pas de côté, seulement. Le poids d'un fil à plomb a été remplacé par un jumeau de poussière bien léger et qui oscille tel un pendule à chaque déplacement des visiteurs dans la galerie, dans L'aplomb des hauteurs. Le petit attracteur évoque pour sa part la cosmogonie interne du corps humain, laquelle paraît bien dérisoire en regard de son référentiel galactique, le grand attracteur. Dans une structure de béton gris surgit par un jeu de miroir une forme flottante, cotonneuse comme un nuage, qui apparaît n'être rien de moins qu'un amas filandreux, de ceux que l'on trouve dans les nombrils quand on n'y prends pas garde. L'oeuvre Mécanique du vivant, imposante sphère de béton, donne elle aussi l'image d'un univers perturbé: son centre de gravité - autrement dit, de façon plus anthropomorphique, son nombril - ayant été déplacé, elle ne se meut qu'en lentes spirales et non en ligne droite. Quant à la bouteille de verre Et soudain le réel vacille, son instabilité apparente de bord de table cache en réalité un point de gravité bien réel. Menacée par une possible évaporation de l'eau qu'elle contient, la sculpture semble toutefois résumer à elle seule ce qui relie les oeuvres de l'exposition: toutes sur le fil, et prêtes à s'envoler, sans doute.

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"Poésie du presque rien" : entretien avec Jean-Baptiste Caron, par Thomas Fort

Thomas Fort : Le Laboratoire des variables se compose d’une performance, conservée ensuite sous la forme d’une installation qui en expose ses résidus. Pouvez-vous nous parler plus en détail de ce projet ?

 

Jean-Baptiste Caron : Je conserve les différents objets utilisés dans la performance pour produire une installation, même si pour le moment je cherche la meilleure forme à attribuer à celle-ci. Le Laboratoire des variables découle d’une œuvre plus ancienne : Le Petit attracteur, que je souhaitais en quelque sorte mettre en scène. L’origine de la performance se base sur l’idée de faire léviter de la poussière sur mon nombril.

 

TF : On peut parler d’une activation dans le spectacle vivant, de thèmes ou d’œuvres produites précédemment, car vous valorisez des formes récurrentes de votre démarche artistique par les tracés et les découpes effectuées sur différents supports. Par exemple vous continuez à explorer la forme du cercle.

 

JB.C : Effectivement, il y a un jeu entre ce qui est affiché derrière moi et ce qui se produit sur la table. Il y a une transformation à chaque fois. Je me sers ainsi d’un carré en métal pour dessiner mes découpes dans le journal, mais au moment où je l’accroche au mur il devient rond. Cette transformation entre le carré et le rond se retrouve au début : je dessine un carré sur mon T-shirt, puis je découpe un rond pour recueillir la poussière de mon nombril. Celle-ci symbolise le centre de gravité qui est une dimension essentielle de ma réflexion.

 

TF : Une autre dimension, qui se fait jour ici, serait un attrait pour les tours de passe-passe dans les multiples gestes qui se succèdent.

 

JB.C : Je mélange ici ma passion pour la prestidigitation et l’utilise. Je récupère plusieurs poussières de nombril, j’en forme une boule qui s’écrase au sol, elle ne rebondit pas… J’essaye plusieurs fois… ça ne fonctionne pas donc je la pose. Je m’allonge ensuite sur la table, je frotte la poussière de mon nombril et elle commence à léviter. Enfin je reprends la boule et à ce moment en la faisant tomber elle rebondit, il y a une transformation d’état de la matière entre pesanteur et impesanteur.

 

TF : Cette performance résonne, telle une synthèse des interrogations inhérentes à votre démarche, tout en ouvrant un autre champ de questionnements. Pourrait-on finalement qualifier la trace qui en découle d’une « exposition globale » qui rejouerais votre travail ?

 

JB.C : La notion de transformation reste essentielle. Elle se retrouve dans les formes que j’utilise, mais surtout, c’est quelque chose que je vais poursuivre. La notion de gravité est également prédominante dans cette performance comme dans plusieurs pièces antérieures. Une nouvelle problématique s’amorce enfin autour du carré et du rond.

La notion d’exposition globale qui rejoue mon travail me semble intéressante car l’idée originelle était de re-faire Le petit attracteur et donc de jouer cette pièce en la performant. C’est la première fois que j’opère cette forme de spectacle vivant, et que j’arrive à lier la pratique de la magie à celle de l’art contemporain, pour qu’au final demeure une indétermination sur l’appréciation de l’oeuvre.

 

TF : Revendiquez-vous le terme de magie ?

 

JB.C : Non pas vraiment, il s’intègre plutôt dans le processus même de création. Ce qui m’intéresse ce sont les interrogations du spectateur. On retrouve ainsi cette indétermination, soit dans les thématiques utilisées : la transformation, la lévitation, la disparition… mais également dans Et soudain le réel vacille, cette bouteille en équilibre où rien n’est truqué. Le centre de gravité est déplacé pour que l’on se demande comment elle tient debout. Une dimension magique, s’invite aussi dans les matériaux utilisés : le fil quasi invisible dans Le mobile de poussières par exemple.

 

TF : La trace est une dimension importante de votre travail. C’est celle que forme Mécanique du vivant en spirale sur le sol, ce sont des peluches de poussière, véritables résidus fabriqués par le corps…

 

JB.C : Ces dernières demeurent une production journalière, collectionnées au début sans trop savoir qu’en faire, puis reliées à l’idée de spirale, car dans mon imaginaire cette petite forme de poussière se façonne par un mouvement hélicoïdal des poils autour du nombril. C’est une trace que j’utilise par rapport au centre de gravité, et à la dialectique entre le lourd et le léger.

 

TF : Contrepoids inverse l’essence de ces deux notions. La poussière reste ancrée au fond du bocal tandis que la sphère de béton se fait bouchon ou ballon de montgolfière. Dans Genèse la poussière se retrouve au centre d’une planète miniature qui nous transporte métaphoriquement dans un monde étrange.

 

JB.C : Cela forme un cratère. Mes oeuvres ont souvent un lien avec un aspect cosmique. Quand je travaille avec le rond et le carré c’est pour des raisons symboliques simples. Le carré renvoie à la terre et le rond au céleste. Dans Le Laboratoire des variables j’utilise les résidus de mes découpes de journaux : j’en fait une boule, une sphère, que je pose sur un carré. On retrouve donc ce même lien symbolique entre le terrestre et le céleste.

 

TF : Ces formes peuvent-elles s’imbriquer où restent-elles deux mondes distincts ?

 

JB.C : Elles peuvent s’imbriquer, je suis d’ailleurs actuellement en train de rechercher un moyen de les faire dialoguer, de trouver un passage entre elles au travers de la sculpture notamment.

 

TF : Ces deux mondes induisent les notions de limite et de frontière qui sont misent en scène de manière radicale à la galerie 22, 48 m2 avec l’exposition 44, 96 m2. La galerie devient un espace, un tout, dont la vitrine est obstruée par un miroir. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

 

JB.C : C’est la suite logique du projet Réflexion où j’exploitais différentes manières de former un cube vide à l’aide de miroirs inversés. Il fallait compléter l’image mentalement car nous nous trouvions face au dos du miroir. Pour l’intervention à la galerie je souhaitais refléter l’espace et le transposer à l’extérieur dans l’idée d’habiter cette extension invisible. Cela se réfère notamment au Metro cubo d’infinito de Michelangelo Pistoletto et cette réflexion sans fin qui se produit virtuellement dans notre imaginaire car dans le réel nous sommes retenus à l’extérieur. Dans mon cas, nous pouvions tout de même voir l’amorce du reflet réel à travers le sas d’entrée.

 

TF : L’exposition devient une œuvre globale puisque vous intervenez dans l’espace de manière radicale en le fermant, vous créez un carton et un catalogue spécifique et reprenez la typographie de la galerie pour le titre. Enfin vous rejetez à l’extérieur tous les outils de médiations. Ne produisez vous pas ainsi une «anti-galerie» ?

 

JB.C : On abandonne ici l’idée d’une oeuvre à vendre puisqu’il n’y a rien à voir et donc rien à acheter. De plus il s’agit de projeter, à l’extérieur, un espace dans lequel les gens n’osent pas toujours rentrer. La galerie devient accessible à tout le monde, aux gens du quartier, même si je reste conscient de l’aspect un peu utopique de l’intention, puisque c’est invisible et très conceptuel.

 

TF : "44,96 m2" se construit de façon totalement virtuelle, toutefois nous pouvons accéder à une vision fragmentaire de la galerie par le sas d’entrée. De plus le cartel nous renseigne sur ce qui n’est pas visible. Est-ce un moyen d’intégrer le visiteur dans la fiction de cet espace qui n’existe pas vraiment ?

 

JB.C : Il y a une forme de croyance, « d’immersion fictionnelle », dans l’idée d’habiter cette structure car on a effectué le vernissage dehors. Tout ce qui se doit habituellement d’être à l’intérieur est transposé à l’extérieur. On conserve les places de parking vides devant, puisque le reflet virtuel allait au delà de ces emplacements.

Il faut en effet que les visiteurs lisent et s’imaginent cette construction. Ce serait gênant, pour moi, de faire venir des gens pour rien. Mon but n’est pas de les laisser dans une appréhension déceptive. Je souhaite plutôt les faire rentrer dans le jeu. Il faut donc admettre et accepter le pouvoir de son imagination

 

TF : Pour entrer dans votre fiction, voir le lien infra-mince qui existe dans les processus, il est nécessaire de se baser sur le réel. Votre travail a-t-il à voir avec la croyance ou la fiction ?

 

JB.C : Il y a une frontière entre ces deux notions. Toutefois je m’en méfie : il faut être conscient de la fiction car on peut vite perdre pied si cette ambiguité perdure entre fiction et réalité. C’est aussi pour cela que j’essaie à présent de me confronter à la matière.

 

TF : Cette ambiguité contribue-elle à l’instabilité et au doute que vous évoquez notamment dans Le mobile de poussière ?

 

JB.C : Tout est entre l’équilibre et le déséquilibre avec ce jeu complexe entre les poids et les contrepoids. Pour cette pièce j’ai récolté des moutons de poussière que je souhaitais faire danser au ras du sol. J’ai repris la structure d’un mobile à la manière de Calder, mais dans une esthétique dématérialisée en utilisant un fil quasi invisible et des tiges transparentes. Le simple déplacement du spectateur fait mouvoir l’ensemble qui reste très fragile.

 

TF : C’est en quelque sorte une mise en scène de ce qu’est par essence la poussière. Mais plutôt que de rejouer son aspect volatile avec un mobile en hauteur vous choisissez de le faire vaciller au près du sol. Un courant de vent et tout s’envole.

 

JB.C : Un souffle peut tout détruire. J’avais d’ailleurs travaillé sur l’idée de l’air comme matériaux dans des pièces antérieurs : "La fabrique des courants d’air", notamment.

 

TF : Pouvez-vous revenir sur l’évolution de votre travail qui va de l’air à l’invisible, du rien à l’infra-mince, de l’infime à la matière sculptée ?

 

JB.C : Au départ je questionnais l’immatériel, la dématérialisation avec le médium de l’air, il y avait des réalisations mais l’acteur principal restait le vent. Ensuite il y a eu le vide avec "44,96 m2" puis la poussière et à présent ça se matérialise de plus en plus avec le béton avec des choses plus terrestres.

 

TF : L’œuvre de toute une vie, cette plaque de marbre tel un épitaphe adossé au mur d’un cloître, assemble dans une même pièce vos recherches récentes autour de la matière et de la poussière et conserve un aspect un peu humoristique tout en dialoguant conceptuellement avec le lieu.

 

JB.C : Il y avait un cimetière sous les dalles du cloître. Cette plaque joue alors un peu comme un cartel qui ferait de la mort une oeuvre d’art. Elle a d’ailleurs un vécu qui lui ajoute un supplément d’âme. L’humour est donc le bienvenu pour apporter un peu de légèreté.

 

TF : L’aspect humoristique du premier regard est contrebalancé par une relation à l’histoire de l’art. On pourrait en effet se référer à une vierge à l’enfant de Bellini où le Christ pose un pied sur le marbre, ce qui symboliquement signifie une prise de conscience de notre finitude. En mettant de la poussière sur du marbre vous placez-vous d’une certaine manière dans cette même intention ?

 

JB.C : Tout à fait. Cependant ce qu’il faut savoir c’est qu’au premier abord la poussière n’est pas forcement visible. Il y a un volume, mais on n’y prête pas attention. La plaque est posée contre le mur. Nous pouvons donc passer à côté sans savoir que c’est une oeuvre. Cette ambiguité m’intéresse.

 

TF : Ce non visible, ce rien, ce macroscopique, résident dans des pièces qui ne se jouent donc à pas grand chose…

 

JB.C : Pour moi c’est l’exploration d’une poésie du presque rien. Ce qui vient aussi de l’univers de la magie où nous croyons qu’il y a quelque chose alors que c’est faux. Parfois dans des jeux de cartes tout se fait avant la révélation, dans l’imaginaire de celui à qui l’on propose de jouer.

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​Texte par Guillaume Benoit, "Slash Magazine #2" Octobre 2013.

 

En plaçant ses recherches plastiques sur le double plan de la gravité matérielle et symbolique, Jean-Baptiste Caron propose une démarche aussi subtile qu’habilement décalée qui interroge avec une belle pudeur la trace de l’absence et l’avènement de la disparition. Avec une rigueur toute scientifique, Jean-Baptiste Caron met en scène des expérimentations qui dépassent le cocasse pour révéler une force réelle, à mi-chemin entre le phénomène physique et l’illusion magique. En témoigne sa Mécanique du vivant, sphère de béton dont le centre de gravité, déplacé, l’entraîne à se mouvoir dans un étrange ballet de spirales, ou Alea Jacta Est, reproduction successive d’un pavé en grès, qui, réduit à chaque étape par la contraction naturelle du matériau, convoque l’illusion d’une disparition possible.

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​Texte par Florent Jumel, Paris-Art, Janvier 2013

Dans son exposition "Degrés d'incertitude", Jean-Baptiste Caron semble vouloir échapper à la gravité du monde réel, comme obsédé par l'ascension. Entre gravité et légèreté, au sens propre comme au sens figuré, ses œuvres oscillent entre illusion et réalité.

 

Jean-Baptiste Caron, pour sa seconde exposition chez 22,48m2, présente "Degrés d'incertitude". En avril 2011, il investissait déjà le lieu, proposant une exposition conceptuelle et provocatrice: fermer la galerie au public. Intitulée "44,96m2" (soit 22,48 multiplié par deux), cette exposition, dont le nom lui-même est un détournement, était une citation à de nombreux artistes. 

Yves Klein, en 1958, après ses œuvres immatérielles, invitait le public à la première exposition du vide à la galerie Iris Clert. Robert Irwin, en 1970 à Los Angeles, laissait la galerie vide, investissant l'espace de temps à autre, pour réfléchir à ce qu'il pourrait y présenter. 

Jean-Baptiste Caron ne laissait pas cette chance au public. La galerie n'était pas vide mais son accès y était impossible. Il ressuscitait ainsi le topique selon lequel l'art est un simulacre. La visite de 44,96m² provoquait certainement de la frustration, pourtant au regard de la production de Jean-Baptiste Caron, elle n'en demeurait pas moins une nouvelle manipulation du réel et une transformation de la galerie en espace fictif.

 

C'est dans le prolongement de cette même idée que le jeune artiste de 29 ans présente aujourd'hui quatre pièces qui questionnent l'immatériel et la dynamique ascensionnelle. Les œuvres s'articulent entre elles avec minimalisme et précision. Elles suggèrent le détournement, existant dans un entre-deux palpable. Le titre donné à chacune d'entre-elles nous invite sur le terrain des lois de la physique et convoque un imaginaire scientifique. Mécanique du vivant est une sphère blanche en béton et polystyrène d'un diamètre de 40 cm. Son titre contraste avec la simplicité de l'objet, posé à même le sol. Il est pourtant question de physique. Le centre de gravité de l'objet a été déplacé de façon à ce que la sphère en mouvement ne puisse pas réaliser de cercle régulier. Immobile dans la galerie, elle s'anime en vidéo dans une projection qui atteste de l'intervention invisible de l'artiste.

 

Avec Le Petit Attracteur, Jean-Baptiste Caron présente une structure sur pieds en béton au-dessus de laquelle semble léviter quelques grains de poussière par un procédé d'illusion d'optique. Ce projet trouve ses sources dans un constat du quotidien, l'amas au centre du nombril de fibre de tissu, très sérieusement nommée peluca ombilicus. L'artiste établit un lien entre un effet mécanique éprouvé sur son corps et l'attraction des masses de l'univers. Le titre est une référence directe au Grand Attracteur, anomalie gravitationnelle de l'univers provoquée par un superamas de galaxies. Jean-Baptiste Caron semble dans ses œuvres vouloir échapper à la gravité du monde réel, comme obsédé par l'ascension. Entre gravité et légèreté, au sens propre comme au sens figuré, l'artiste oscille entre illusion et réalité.

 

Cette dialectique de la verticale est reprise dans les deux productions suivantes. A l'aplomb des hauteurs représente un fil d'aplomb dont le poids est fait de poussière. Le fil pointe tout de même le sol, mais propose un point d'équilibre instable. Et soudain le réel vacille figure une bouteille d'eau minérale en verre, posée en situation de péril extrême, en équilibre sur l'arrête du socle qui la supporte. Ces pièces échappent toutes à la gravité et se jouent de notre perception. Jean-Baptiste Caron souhaite les faire exister dans un espace intermédiaire et opère pour cela à un décentrement.

 

Jean-Baptiste Caron n'est pas un prestidigitateur. Il ne dupe personne. Il procède par détournements à une réflexion sur les lois physiques ou mécaniques relatives aux notions de la pesanteur. Il se positionne ainsi en passeur, cherchant à nous abstraire de notre propre gravité, à faire tomber nos certitudes et à nous faire entrer dans un univers incertain, instable et en perpétuel mouvement.

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