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Texte de l’exposition NOW (22,48m², Paris, FR) par Camille Prunet, 2024

NOW. L’invitation de Liddy Scheffknecht à vivre hic et nunc (ici et maintenant) se traduit par une manipulation de la lumière solaire qui lui permet de créer des formes à la fois simples et délicates. Les œuvres de cette artiste ne font pas l’éloge de la rapidité ; au contraire, elles proposent de se laisser pénétrer par le moment présent qui s’écoule en portant l’attention du public sur les effets de la rotation terrestre. Liddy Scheffknecht produit ainsi des effets illusionnistes saisissants, bien que non démonstratifs, qui perturbent nos sens. Les séries photographiques Untitled (kerria japonica pleniflora) et sunpan, ou encore la vidéo wipeout, enregistrent ainsi ces instants où l’artiste utilise la lumière naturelle, grâce à un système de découpe apposé sur une vitre, afin de produire des jeux d’optique. On se demande alors : « s’agit-il vraiment de la trace d’une éponge, est-ce bien l’ombre du vase ?… ».

Dans l’œuvre intitulée « - », l’artiste s’inspire de ce signe typographique pour créer une forme de rectangle évidé collé sur une vitre. La lumière ne passe que dans ce rectangle, qui est ensuite redessiné par l’artiste toutes les sept minutes sur un papier disposé au sol. En fonction de la position du soleil, cette forme se déplace sur le papier, créant ainsi des superpositions géométriques. Les traits renvoient à une période de temps (ici, une matinée), constituée d’intervalles ou pauses, et constituent une trace des mouvements solaires. En mettant à jour l’écriture de la lumière, l’artiste révèle ce pacte invisible entre le ciel et la terre. Cela n’est pas sans rappeler le concept japonais de ma qui investit ce qui existe entre les choses : « Le ma est un intervalle espace-temps, une transition, une respiration, un entre-deux dont la fonction est de faire du lien (en), non de séparer. […] C’est un creux d’où surgit la forme, comme dans la parabole de Lao-tseu selon laquelle un vase serait inutile si le potier, en tournant l’argile, ne l’évidait pas en son centre. » (Serge Bramly, La Transparence et le Reflet). Ainsi, la ligne ne sert pas seulement à dessiner les contours d’une chose, elle existe en elle-même et dans son rapport aux autres lignes. Les productions de Liddy Scheffknecht discutent en ce sens volontiers les catégories et les typologies dans lesquelles on aimerait les classer, jouant entre matérialité et immatérialité notamment. Le voile léger qui débute l’exposition, habité du mot now traduit dans différentes langues, en est un exemple. La continuité du monde vivant se lit dans celle des matériaux qui semblent se fondre les uns dans les autres. Avec poésie, sculptant la lumière, l’artiste interroge puissamment notre rapport à l’image et, ainsi, notre rapport visuel au monde.

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Texte de l’exposition Liddy Scheffknecht - Broken Flowers (Korridor, Wien, AT) par Petra Noll, 2023

(...) Avec l’exposition Liddy Scheffknecht - Broken Flowers, le «Korridoraum für aktuelle Kunst» est partenaire du programme de FOTO WIEN 2023.

Les travaux de l’artiste s’inscrivent particulièrement bien dans le thème du festival de photographie « Les mensonges de la photographie », où il est question d’authenticité de la photographie, de l’être et du paraître, de la réalité et de l’illusion - un thème qui fait déjà l’objet de discussions depuis l’invention de la photographie et qui se trouve sans cesse renouvelé jusqu’à aujourd’hui. Liddy Scheffknecht expose ici des séquences photographiques en grande partie nouvelles, des travaux photographiques individuels et des vidéos ainsi que des dessins au crayon de cire. L’artiste, qui travaille de manière interdisciplinaire, s’intéresse de façon ludique et expérimentale à la perception de la réalité du temps et de l’espace. Pour cela, elle utilise des matériaux inhabituels comme la lumière du soleil, l’ombre ou encore la rotation de la terre. (...)

Cette exposition s’intitule Broken Flowers. Broken : cela signifie que la situation est brisée. Il ne s’agit pas de voir ce qui est vrai ou faux au sens habituel du terme, car tout ce que nous voyons est vrai et authentique, même si c’est, disons, ‘fake’. Ce que les photographies racontent est une vérité construite par Liddy Scheffknecht ; si nous voulons ‘lire’ ces images, il s’agit de reconnaître ce que l’artiste veut dire. Flowers : toutes les photos représentent des plantes, mais celles-ci ne renvoient pas à un aspect naturel et doivent être considérées comme de simples objets. En raison de leur caractère éphémère, l’aspect temporel y est plus présent que dans les objets du quotidien.

On y voit surtout des séquences photographiques et des travaux vidéo de la série Sun Works - des situations poétiques présentant la lumière du soleil et la rotation de la terre comme protagonistes. Celles-ci sont basées sur des installations. Plus précisément, des objets - ici des plantes en pot ou des fleurs coupées et leur ombre supposée - sont d’abord installés dans l’espace.

Pour ce faire, des pochoirs montés sur une fenêtre à proximité sont placés sur les contours de chaque objet. Lorsque le soleil brille à travers la fenêtre, les ombres du papier ou de la feuille colorée se projettent dans la pièce. La rotation de la terre déplace l’image mouvante à travers la salle jusqu’à ce que la projection semble s’arrimer à l’objet/plante. L’illusion est parfaite pendant un moment, lorsque l’ombre formée tombe de telle sorte qu’elle semble être l’ombre réelle de la plante. Pour ses installations, Liddy Scheffknecht choisit des espaces bien précis et pourtant, même à l’intérieur, elle dépend du temps, de la lumière du soleil et des heures de la journée, ce qui peut souvent conduire à un processus de longue durée. Au fil des années, l’artiste a travaillé ces installations avec une grande richesse d’expérimentation. Si nous regardons attentivement les images, il y a partout des leurres partageant la même intention : ils nous invitent à regarder attentivement et à nous rendre compte à quel point notre perception est instable. (...)

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Shadows in the Moment par Roberto Casati, 2022

L'art est le domaine de l'artificiel, de l'altération, de la modification et de la citation. Nous ne pouvons pas montrer le soleil (ou l'océan Atlantique, ou un séquoia géant) et le présenter comme une œuvre d'art (ou, si nous le faisons, nous devons alors passer beaucoup de temps à expliquer ce que nous avons fait et pourquoi, et à nous demander si nous avons réussi). Un signe, un geste, un projet, un processus, un investissement, un travail, sont nécessaires pour créer un sens artistique. Nous ne savons pas quelle est la condition suffisante pour être de l'art, mais nous savons que la transformation, l'intervention et le travail humain sont nécessaires.

L'environnement est toujours, directement ou indirectement, une condition d'existence d'un objet d'art : l'air est le médium dans lequel nous voyons les choses et, y compris dans les musées, la lumière naturelle filtre à travers des fenêtres tamisées. Dans certains cas, cependant, ce milieu devient un thème. Bien sûr, quand on pense à l'art environnemental, des œuvres massives viennent immédiatement à l'esprit : des obélisques d'acier dans le désert, des îles enveloppées de films plastiques roses, des volcans éteints transformés en lieux de contemplation, des icebergs entraînés dans la fonte dans le centre d'une ville européenne. Il s'agit souvent de projets ambitieux qui nécessitent des investissements importants et qui dessinent les contours d'une forme d'infrastructure artistique. Si l'environnement est considéré comme extérieur, comme un « dehors » dont la caractéristique essentielle est l'échelle, très éloignée de l'échelle humaine, s'il ne peut être enfermé dans un musée, alors autant tirer parti de sa taille, ne pas se priver des plaisirs de la posture théâtrale-parce-que-grande. Soyez impitoyable : l'artiste est celui qui appose sa signature sur le paysage, qui intervient, qui le modifie. L'artiste se mesure à l'environnement, qui en retour donne une mesure de la grandeur de l'artiste proportionnelle à la taille du geste. Le résultat est spectaculaire : les foules affluent, la tempête du selfie se déchaîne, Internet se consume d'images qui rebondissent d'une histoire à l'autre. D'autres voies peuvent être explorées, des voies dont l'environnement constitue le sujet et le protagoniste. L'environnement contrôle le temps et l'espace de l'œuvre, commande l'attention, et en même temps n'est pas violé ou frelaté. À peine, sur la pointe des pieds, il est domestiqué, il devient partie intégrante de la domus, même s'il entre, comme nous le verrons, par une fenêtre, c'est comme s'il entrait par la porte principale.

Les oeuvres de Liddy Scheffknecht sont accompagnées d'une liste d'« ingrédients ». Ce terme est le mien car je ne suis pas sûre qu'il existe un terme technique stable ou consensuel pour la description matérielle de ce dont l'œuvre d'art est faite. Les étiquettes et les catalogues énumèrent généralement des matériaux et des procédés artistiques (« huile sur toile », « tempera sur carton », etc., où « huile » désigne à la fois le matériau et le procédé particulier consistant à disposer le matériau sur un support). Mais il est plus difficile de trouver une catégorie appropriée pour la « rotation de la terre », qui apparaît dans les œuvres de Scheffknecht impliquant des ombres. (Curieusement, les ombres elles-mêmes ne sont pas nommées dans la liste des ingrédients, mais nous reviendrons sur ce point).

La rotation de la terre est un processus, mais ce n'est pas un processus qui est contrôlé dans la production artistique (contrairement à la disposition de l'huile sur une planche de bois). L'inclure dans la liste des ingrédients est un geste conceptuellement important. De nombreux processus et lois physiques font partie de la production artistique - du séchage d'une couche de détrempe à la présence de la gravité qui détermine la forme d'une sculpture, en passant par l'interaction lumière-matière - mais leur action est, pour ainsi dire, en arrière-plan, présupposée par l'opération technique, et n'est pas un geste artistique saillant. La rotation de la terre s'applique à toutes les œuvres d'art créées et exposées sur notre planète, mais elle est rendue saillante dans certaines œuvres de Scheffknecht en ce qu'elle détermine un moment « idéal » non seulement pour la réalisation de l'œuvre, mais aussi pour son existence même.

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Une brève et intense négociation conceptuelle peut être déclenchée par la pensée suivante : Les ombres semblent changer dans la pièce, et s'il y a bien quelque chose d'éphémère, c'est l'ombre elle-même qui se déplace lentement, tournant à la limite de l'imperceptible, au cours de la journée, apparaissant et disparaissant. Liddy Scheffknecht aurait pu ajouter « ombre » ou « ombre mouvante » à la liste des ingrédients. Il semble important qu'elle ne l'ait pas fait, non seulement en raison du statut métaphysique de l'ombre, que l'on n'a pas forcément envie de considérer comme un objet à part entière et qui nécessite une discussion particulière si on la traite comme une absence. La « vérité surprenante » selon laquelle les ombres produites par le soleil ne se déplacent pas littéralement compte également. La terre bouge (« rotation terrestre »), mais la direction terre-soleil ne change pas : tous les objets sont systématiquement réorientés au cours de la rotation de la terre par rapport à l'ombre, qui devient un point de référence, un invariant. Contrairement aux apparences, l'ombre est le seul objet fixe de la scène, une scène que la rotation de la terre entraîne avec elle : l'illusion devient réalité, la réalité une illusion.

Il faut trois acteurs pour produire et rendre visible une ombre : une source lumineuse, un obstacle et un écran qui intercepte la lumière autour de la fente lumineuse créée par l'obstacle. L'artifice plastique peut investir chacun de ces acteurs ou moments : la lumière peut être naturelle ou artificielle. Si elle est artificielle, elle le sera à des distances infinitésimales de celles qui nous séparent des étoiles lumineuses. L'obstacle peut être une contingence naturelle ou le résultat d'une intention qui détermine sa forme, sa taille, sa position et son orientation dans l'espace, et il en va de même pour l'écran. L'écran n'est cependant pas une condition de l'existence de l'ombre, mais plutôt une condition de son épiphanie.

Les ombres naturelles de notre environnement proviennent d'un nombre limité de sources lumineuses. Le soleil et la lune, bien sûr, mais aussi certaines planètes comme Vénus, Jupiter, et des étoiles comme Sirius, qui projettent des ombres faibles et peu contrastées les nuits de nouvelle lune, des ombres qui demandent un effort de concentration, une adaptation, presque une construction perceptive, un effort de volonté. Un feu de forêt, une explosion volcanique, génèrent des ombres éphémères et violentes, rapides et changeantes. Mais le soleil est le premier moteur des ombres environnementales, auxquelles il insuffle une double variété : mouvement et changement de forme au fil de la journée, et changement de forme au fil des saisons, d'autant plus marqué que l'on s'éloigne de l'équateur. Les ombres ne bougent pas, elles sont statiques, et seul un geste humain qui déplace la source lumineuse ou l'objet qui projette l'ombre peut changer cette rigidité. Le temps ne s'écoule pas entre le moment où l'on allume l'ampoule et celui où on l'éteint ; ou s'il s'écoule, ce ne sont pas les ombres artificielles qui nous le disent.

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Texte de l’exposition nine to five (Kunstraum Weikendorf, Wien, AT) par Veronika Rudorfer, 2021

«Travailler de 9h à 5h, quelle façon de gagner sa vie !
C’est à peine si on s’en sort, c’est tout ce qu’on prend et rien qu’on donne
Ils utilisent juste votre esprit, et ils ne vous donnent jamais de crédit C’est assez pour vous rendre fou si vous le laissez faire.»
(Dolly Parton, 9 to 5, 1980, RCA Nashville)

Le titre de l’exposition 9 to 5 évoque différentes associations, qu’il s’agisse de la situation précaire des travailleuses américains au début des années 1980, dont parle Dolly Parton, des Bullshit Jobs de David Graeber décrits dans le livre du même nom paru en 2018, ou des débats actuels sur la dichotomie entre le travail rémunéré et le travail non rémunéré dans les métiers du soin.

Pour comprendre comment le travail est à la fois représenté et critiqué dans l’exposition nine to five de Liddy Scheffknecht, il faut d’abord se pencher sur son processus de travail. Elle a commencé par élaborer un dispositif expérimental complexe pour le papier peint qu’elle a ensuite appliqué sur les trois murs du Kunstraum Weikendorf. Le papier peint montre une reproduction de 22 dessins qu’elle a réa lisés entre 9 heures et 17 heures à quatre endroits différents. Le déroulement de ces huit heures est capturé dans ces dessins sous forme de contours. Un pochoir a été fixé à la fenêtre d’une pièce pour chacune des huit heures de la journée, soit 17 chiffres en tout, selon l’horloge européenne de 24 heures. Lorsque la lumière du soleil traversait le pochoir en haut de chaque heure sur une feuille de papier peinte au pastel à l’huile bleu, Scheffknecht grattait les chiffres dans la couche bleue, ce qui les rendait visibles en permanence sous forme de lignes blanches. Alors qu’avant le début de chaque heure, les chiffres lumineux sur le papier sont déformés, ce qui est clairement visible dans les dessins, ils deviennent de plus en plus droits au fur et à mesure que le début de l’heure approche. Les déformations augmentent à nouveau au fil des 60 minutes de chaque heure, mais cette fois dans l’autre sens. De cette manière, la rotation de la terre et la trajectoire de la lumière du soleil pendant une période de temps définie deviennent visibles dans les dessins.

En regardant les chiffres de plus près, on remarque des zones vides lorsque le soleil était derrière les nuages, ce qui était une distorsion inévitable dans le dispositif expérimental planifié avec précision. Comme l’approche conceptuelle de Scheffknecht consiste à répéter son travail artistique à l’infini, l’acte de dessiner devient son contraire formel : au lieu d’appliquer de la couleur sur le papier, des parties de la couche de pastel à l’huile bleu sont enlevées à l’aide d’un tournevis et d’une règle afin d’exposer les lignes blanches des chiffres. Ceux-ci sont rendus dans une typographie développée par Scheffknecht que l’on retrouve dans plusieurs de ses œuvres, comme soon (before and later) (2020) et now (9. September) (2018). Il s’agit d’une police qui évoque de nombreuses associations et peut faire penser à des écrans numériques définis par une certaine standardisation de la forme.

La même typographie se retrouve dans les dessins tridimensionnels installés au Kunstraum Weikendorf qui épellent le mot « now ». Ces dessins tridimensionnels enregistrent également la transformation de ce mot en l’espace d’une heure, entre 9 heures et 17 heures. Le fait de regarder à travers les lignes précises des lettres découpées crée de nouvelles vues superposées du papier peint, créant une tension entre les deux œuvres ainsi qu’entre celles-ci et leur environnement, chargeant la période de temps du titre de la promesse d’une désignation temporelle immédiate : le « maintenant » du présent. La redondance et la régularité du neuf à cinq sont perturbées ; par son ancrage dans le présent, le continuum du temps est rompu, car il se rafraîchit encore et encore.

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En nous montrant comment ces huit heures peuvent être utilisées différemment chaque jour et en rendant le temps compréhensible sous une forme picturale, Scheffknecht démontre le potentiel de ces huit heures - un potentiel qui ne doit pas nécessairement correspondre au bureaucratique et redondant 9 à 5, car comme le chante Dolly Parton, « It’s enough to drive you crazy if you let it » (il suffit de vous rendre fou si vous le laissez faire).

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Texte de l’exposition points in time (Georg Kargl Box Wien, Wien, AT) par Beate Scheder, 2018

Le temps est un concept étrange. Il devient imprévisible dans une perception subjective. Parfois, il glisse entre les doigts comme du sable fin. Et, d’autres fois, il semble que le temps est bloqué, qu’il s’arrête. L’idée d’un « temps absolu, vrai et mathématique », formulée par Isaac Newton à la fin du XVIIe siècle, un temps qui, « dans sa propre nature, s’écoule équitablement sans relation avec quoi que ce soit d’extérieur », devient dérisoire lorsque les secondes, les minutes, les heures, les jours ne semblent pas s’écouler, lorsque rien de ce qui se passe n’est digne d’être retenu. Pour mesurer le temps, pour remarquer qu’il passe, il faut quelque chose qui change, quelque chose qui bouge, idéalement de manière continue, constante, comme les aiguilles d’une horloge, ou comme le soleil qui change de position dans le ciel lorsque la Terre tourne autour de lui. Liddy Scheffknecht (née en 1980 à Dornbirn) a fait du soleil son complice. Avec son aide, elle cherche à visualiser le cours des choses et la temporalité en tant que telle. Dans son exposition actuelle à la Georg Kargl Box, Liddy Scheffknecht présente de nouvelles œuvres sur papier et un ensemble de sculptures antérieures en verre. Elles ont toutes en commun la tentative de saisir des moments de manière quasi-photographique, des «points dans le temps», comme l’exprime le titre de l’exposition. Lidddy Scheffknecht tente ainsi de capturer des moments et de transformer des situations fugitives en images statiques.

now, 2018, ainsi que 9 to 5, 2018, sont des dessins sur papier au crayon de cire pour lesquels l’artiste a développé une méthode de production ingénieuse : elle a installé, sur une fenêtre, des feuilles de papier dans lesquelles elle a découpé les mots now, 9 am et 5 pm. Selon l’emplacement du soleil, la lumière tombe à travers les découpes du papier, sous différents angles, jusque sur le support de dessin : une feuille de papier recouverte de crayon de cire noir. Concernant now, l’artiste a gratté les contours de la projection lumineuse sur la surface enduite de crayon de cire à des intervalles de dix minutes au cours de chaque journée, ce qui a donné lieu à un dessin au trait composé de lettres qui se chevauchent. 9 to 5 révèle une approche tout aussi rigoureuse, suivant laquelle Liddy Scheffknecht incrit sur le papier, chaque matin d’une période estivale, l’heure indiquée « 9 am » et, en fin d’après-midi, les contours spécifiques de l’expression « 5 pm ». Au premier coup d’œil, les rayures blanches sur la surface noire rappellent des anciens signes rapportés aux étoiles et aux corps célestes. En cela, l’œuvre semble faire cohabiter les concepts d’éphémère et d’intemporel.

Les termes ne peuvent être déchiffrés qu’en y regardant de plus près. En effet, « maintenant » est l’incarnation du moment qui est déjà passé quand on en prend conscience trandis que « 9h à 5h » représente le principe de base de la journée de travail traditionnelle, qui semble déjà révolue dans le monde actuel où la flexibilité du travailleur devient centrale. En effet, en Autriche, l’amendement de la loi sur le temps de travail a légalisé la journée de travail de douze heures en septembre 2018. Liddy Scheffknecht rappelle ainsi que, dans un monde dominé par le marché et orienté vers l’efficacité, rien n’est plus rare que le temps disponible.

Les sculptures en verre Bubblegums peuvent être considérées comme des contrepoints ludiques à cette vision : les bulles de chewing-gum prolongent un petit moment à l’infini, mais celui-ci présente un tout autre caractère. L’artiste retient l’instant où la bulle, remplie d’air, est sur le point d’éclater, un moment de pur insouciance enfantine, de plaisir totalement dénué de sens, d’autant plus beau qu’il est déjà passé.

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