#60
Cécile Beau
HYLÉ
Exposition personnelle
09/01/2020 - 29/02/2020
vernissage Jeudi 09/01/2020, 18h
Issu du grec ancien, le terme hylé désigne la matière dont une chose est faite. Une matière non pas immuable et identique à elle-même, mais au contraire constituée d’assemblages mouvants d’éléments a priori hétérogènes. C’est du moins l’expérience à laquelle nous convie Cécile Beau, celle d’une réalité comme continuum, où le végétal, le minéral et l’animal ne sont plus des règnes autonomes, séparés les uns des autres, mais sont au contraire entrelacés dans des maillages d’interconnexions et d’influences réciproques.
Nous entrons ainsi dans la galerie 22,48 m² comme dans une grotte végétale, invités à circuler entre des stalactites faites de troncs d’hêtres et d’acacias, au bas desquelles se trouve un tas d’humus formé par la décomposition du bois sous l’action de l’air, de bactéries et de champignons. Il s’agit là d’un processus d’humification, par lequel le végétal se mêle à des micro-organismes pour retourner à la terre qui l’a vu naître, comme transfiguré en processus de minéralisation dans les photos présentées aux murs. Montrant en plans serrés une cavité filandreuse à la racine d’un hêtre pourpre, ces photos sont imprimées sur des plaques d’aluminium qui confèrent au végétal, par leurs reflets argentés, l’apparence de minérales.
Conjuguées au jeu sur les échelles, ces surfaces métalliques nous donnent l’impression de faire face à une grotte rocheuse, comme si l’arbre en question s’était transformé en pierres. Un effet d’hybridation que l’on retrouve dans les écorces fixées aux murs, telles des mues animales évoquant la texture de cuirs tannés.
Tout se passe comme si nous accédions à un monde chimérique pourtant bien réel. Et pour cause, comme le rappelle le fait que l’ADN est sujet à la symbiose et au parasitisme, à tel point qu’il est impossible de distinguer « quelle séquence est “pure” et quelle séquence est une insertion virale », les entités vivantes et non-vivantes, organiques et inorganiques communiquent et coévoluent entre elles : elles « sont des chimères, constituées de fragments d’autres créatures » (1), chacune d’entre elles étant toujours d’ores et déjà incorporée dans d’autres éléments.
Aussi, Cécile Beau rend-t-elle visible une « métaphysique du mélange » (2), qui rejoint une forme d’hétérochronie, faite de temporalités multiples, aux rythmes et aux vitesses variables, radicalement non-humaines. Ici, le temps n’est plus linéaire et progressif, comme le voudrait une vision anthropocentrique, mais au contraire cyclique et spiralé : passé, présent et futur coexistent dans une vision de l’Histoire qui avance tout en revenant sur elle-même. Soit, la possibilité d’imaginer d’autres récits et contre-récits, non pas indexés sur l’Homme, mais sur la cohabitation des règnes et des espèces.
Sarah Ihler-Meyer
(1) Timothy Morton, La Pensée écologique, Éditions Zulma, Paris, 2019
(2) Expression empruntée au livre d’Emanuele Coccia, La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Éditions Payot & Rivages, Paris, 2016
Timothy Morton, La Pensée écologique, Éditions Zulma, Paris, 2019
Expression empruntée au livre d’Emanuele Coccia, La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Éditions Payot & Rivages, Paris, 2016