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#32

Thomas Tronel-Gauthier

CE QUE J'AI VU N'EXISTE PLUS

Exposition personnelle

Texte de Julie Crenn

29/01/2015 - 28/03/2015

" L’Archipel est errant, de terre en mer, il est ouvert de houle et de petit matin ". (Glissant Edouard, Traité du Tout-Monde, 1997)

L’œuvre de Thomas Tronel-Gauthier est la traduction d’une expérience, celle d’une rencontre avec un paysage. Du Nord de la France aux îles Marquises, en passant par la Thaïlande, l’artiste nous emporte dans ses voyages. Par la sculpture, la photographie, la vidéo et l’installation, il restitue des fragments de terre ou de mer, d’un phénomène naturel ou d’un éclat. Ces fragments, apparemment isolés de leur contexte originel, s’avèrent être des zones de projection. En eux réside un paysage mental, celui que nous (re)créons d’après nos propres souvenirs, nos fantasmes et notre imaginaire. Les œuvres ouvrent un champ des possibles au sein duquel le regard et la mémoire sont interdépendants. « Il faut que le regard se promène pour que le paysage apparaisse.»¹ Les moulages et les captations sont les résidus d’un ensemble, d’une étendue dont l’artiste a souhaité retenir un moment spécifique. La technique du moulage et la prise d’images (fixes ou en mouvement) génèrent un rapport intense non seulement avec l’espace, mais aussi avec le temps. L’artiste peut ainsi absorber et traduire une manifestation naturelle et éphémère : le passage d’une vague, les scintillements lumineux sur la mer, une roche, l’envol des hirondelles, le mouvement du sable une fois la mer repartie. À nos yeux, ces petits moments sont envisagés comme des miracles, ils s’inscrivent pourtant dans un cycle d’éternel recommencement. En les isolants, l’artiste ramène le paysage à l’échelle humaine (son corps et sa temporalité) et nous rappelle son immensité. 

Ses peintures monochromes fonctionnent de manière inverse. L’idée du paysage est amenée par la production d’empreintes rhizomiques. Sur les fonds bleus, blancs, noirs ou verts se révèlent des motifs racinaires. De même, au creux des grandes nacres, l’artiste grave les dessins d’explosions. Celles-ci font écho aux essais nucléaires réalisés par la France dans le Pacifique. Par là, l’artiste saisit l’invisible. Si les essais ont modifié le vivant de manière indélébile, la présence nucléaire est indiscernable. Le coquillage, objet d’exotisme, devient le vecteur d’une réalité politique. Thomas Tronel-Gauthier conserve la trace d’un voyage, d’une émotion, d’une inquiétude comme d’une exaltation. Plus que le souvenir d’un instant perdu, chacune de ses œuvres témoigne d’une vision et d’une manière d’être au monde. En ce sens, l’artiste matérialise la pensée de la trace telle qu’elle est développée par Edouard Glissant : « La pensée de la trace s’appose, par opposition à la pensée du système, comme une errance qui oriente. Nous reconnaissons que la trace est ce qui nous met, nous tous, d’où que venus, en Relation. […] La trace, c’est manière opaque d’apprendre la branche et le vent : être soi, dérivé à l’autre. C’est le sable en vrai désordre de l’utopie. […] Elle est l’errance violente de la pensée qu’on partage. »²  Il fait de sa pratique du paysage la restitution, physique et sensible, d’une traversée. De ses yeux et de ses mains, il l’effleure pour en livrer la trace.

 

¹  JULLIEN François, Vivre de paysage ou L’impensé de la Raison, Paris, Gallimard, 2014
²  GLISSANT Edouard, Traité du Tout Monde, Paris, Gallimard, 1997


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