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"Critique Viscérale", par Stéphanie Vidal

Les vidéos réalisées par Jonathan Monaghan sont des mondes qui cherchent la closure ou affirme la boucle. Critiques de la société de consommation, elle montrent ce qui n’y tourne pas rond. Pour concevoir ces univers composites et dystopiques, Jonathan Monaghan cherche sur Internet des modélisations en 3 dimensions pré-existantes et conçoit celles qui viennent tramer sa narration. D’une œuvre à l’autre, les éléments piochés se répètent comme pour montrer le caractère auto-référencé du monde qui les fait naître et pour en amplifier les obsessions.

“MotherShip”, littéralement “le Vaisseau Mère”, nous plonge lexicalement dans l’univers de la science-fiction, là où s’exercerait un pouvoir autoritaire, sécuritaire et colonisateur. Sa flottille se compose d’architectures flottantes qui, telles des zeppelins hallucinés encerclés de précieux ornements, s’organisent dans un délire de strates semblant rigoureusement articulées d’après un ordre qui nous échappe.

Récurrentes, des rotondes décapitées fichées de drapeaux d’apparat, servent de bases de lancement pour de terribles chimères ou de points d’ancrage à des animaux paissants ; telle que la vache à lait tant appréciée des études marketing qui soutient sur son dos toute la City, fameux quartier d’affaires londonien. Propulsé par des structures affichant les logos de grandes multinationales, le modèle capitaliste se révélerait peu à peu être la base dynamique de ces univers pervertis. Le caractère organique de ces structures, évoquant tour à tour l’intestinal, le génital ou même le viral, laisse apparaître une société primaire, infectée, vénéneuse même cannibale, se dévorant indéfiniment.

Dans cette dystopie où l’homme n’a plus sa place et où même sa figure se floute sur les oeuvres d’art qui le représentent, le matériel de santé s’expose comme un bien ostentatoire. Les objets luxueux sont seuls capables d’enfanter et les armes de guerre avancent sereinement ou dansent insouciantes, comme cet Iron Man, armure autonome composée d’un alliage de richesse et de technologie, qui esquisse quelques petits pas sur un podium en lévitation. Piochant dans la culture populaire américaine devenue globale, les références sont faites à des super-héros porteur de valeurs dont les industries créatives exploitent, sur tout support, le potentiel commercial et à l’univers du jeu vidéo, premier produit culturel au monde.

L’impression de liberté par le mouvement proposée par les environnements virtuels que sont les jeux vidéos se trouve corrompu par une grille transformée en piège. L’étrange ribambelle planant au dessus de la City, qui bien qu’arborant les plus belles couleurs de l’arc-en-ciel, suggère l’enfermement en évoquant le circuit de Tron, univers dans lequel le créateur se retrouve prisonnier de sa créature.

Distribué comme dans un jeu de plateforme, l’espace se distribue selon une verticalité par palier qui rappelle une organisation en silo, une hiérarchie spatialisée comme le figure les ascenseurs rebondissant en permanence sur les dizaines d’étages des sièges des grandes compagnies.

La fuite semble impossible et les tentatives désespérées de courses se heurtent à l’ascensionnalité ordonnatrice de la machine. Pour conforter cette sensation, la signalétique récurrente indiquant des issues de secours prend l’apparence d’une vaine politesse. Et au bout de cet étonnant voyage, tout en haut dans ce ciel, là ou l’architecture fait toujours culminer le le pouvoir, se trouve un duty free, symbole absolu et sacré d’un non-lieux proposé par le modèle consumériste planétaire.

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"Une brève note historique et technologique", par Jeremy Couillard

 

Au beau milieu du succès des plateformes de jeux vidéos telle que celle développée par Atari à la fin des années 80, une petite équipe dénomée le "Yost Group" édite l'un des premiers programmes de rendu, de modélisation et d'animation pour ordinateur personnel: 3D Studio. C'est également à cette période que les ordinateurs commencent à communiquer entre eux via une structure labyrinthique de lignes téléphoniques interconnectées. Fonctionnant en réseau, la frontière de l'espace informatique se déplaçait. Ceux qui se sentaient à l'aise en papillonant au sein de ce nouveau terrain dépaysant furent capables de donner forme à une nouvelle culture répondant à leurs intérêts. Les software plus onéreux comme les dernières versions de 3D Studio furent piratées et librement échangées, leur numéo d'enregistrement cracké, leurs codes et graphisme hackés et customisés. Au moment où American Online (AOL) émerge dans les années 90, avec ses chat rooms largement fréquentées et sa première version du Web, le piratage de software connu en bel épanouissement.  L'équivalent de milliers de dollars de logiciels et de jeux vidéos crackés pouvaient atterrir dans votre boîte mail  à partir de robots numériques opérant à partir  des chat rooms. 

Les comptes AOL pouvaient être achetés à l'aide d'un simple algorithme de carte bleue falsifiée. N'importe quel personne équipée d'un ordinateur et d'une ligne téléphonique pouvait utiliser des outils professionnels gratuitement et dans le confort d'un salon familial.

 

C'est dans cette arène que Jonathan Monaghan  établit sa  sensibilité esthétique. Sa génération constitue les premiers natifs  de cet espace 3D informatique popularisé. Graviter autour de lui et s'en inspirer  semblait naturel. Les premières curiosités artistiques de Jonathan ne concernent pas les peintres traditionnels, les sculpteurs ou même les artistes-vidéo, mais plutôt les les designers de jeux vidéos comme ceux de SimCity ou le jeu de tir en vue subjective Counter Strike. Il a réussi à pirater les software créatif qu'ils utilisaient ainsi que leurs jeux en étudiant, modifiant et en maîtrisant rapidment leur approche. Alors que Jonathan était encore au lycée, ses images créées à partir de 3D Studio Max figuraient déjà dans les manuels d'entraînement et ses environnements de jeux vidéos largement diffusés.

 

Mais au lieu de poursuivre un but commercial, de divertissement  ou une carrière technique dans la modélisation, Jonathan s'intéressait déjà plus à la possibilité de travailler dans l'espace analogique de l'art contemporain et plus spécifiquement l'art vidéo et la sculpture par impression 3D. Sa formation et son intérêt pour l'histoire de l'art et ses fondamentaux sont identiques à ceux de n'importe quel jeune artiste contemporain titulaire d'un master de Beaux-Arts. Ses techniques ne font pas appel au coup de pinceau ou a une camera vidéo physique mais à une complexe manipulation de pixels nécessitant un logiciel 3D. Dans ce sens, il n'est pas un artiste numérique ou un "artiste-3ds Max", mais juste un artiste. En multipliant les projections et les expositions "white cube" à travers le monde, Jonathan Monaghan, tout comme d'autres artistes tels Jon Rafman, Brenna Murphy ou Takeshi Murata contribue à sortir cet art du ghetto des "nouveaux médias" en le tirant du côté de l'Art.

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