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L’ensemble du travail de Chloé Poizat traite de disparition (des êtres, des choses et des lieux), de mondes invisibles et de métamorphose.
Elle entretient depuis toujours un lien particulier avec la fiction, que ce soit avec la littérature ou avec le cinéma de genre. Ses sources artistiques puisent principalement dans tout ce qui concerne les pratiques créatrices spontanées, comme l’art brut, le dessin automatique et spirite, les arts populaires, les arts premiers, les chants et danses rituelles.

Sa pratique se fonde sur l'assemblage, sans frontière de mediums, faisant dialoguer des fragments (dessins, peintures, sculptures, photographies, sons), créant ainsi des mondes fictionnels parcellaires où le grotesque, le rêve, la peur et l’étrange sont omniprésents.
Une part de son travail prend également forme à travers l’édition, avec des artzines, des livres ou des multiples.

« S’inspirant d’une iconographie allant du 19e siècle aux années 60, Chloé Poizat emprunte ainsi des sujets issus d’une « sous-culture » alternative qui refuse le courant dominant, un univers subversif et dérangeant qui met à mal notre confort intellectuel en puisant dans l’inconscient collectif un sentiment de déjà-vu, où rien ne nous semble plus familier ni plus étrange : personnages en lévitation, désincarnation (Fictions, Formules Secrètes), spiritisme (Spirites, Dessin Fantôme, La Table Dicte), bestiaire fantastique qui n’est pas sans rappeler l’imagerie d’un Hiéronimus Bosch (Napperon, Paysages Accidentés, Paysages Portatifs), l’artiste se plaît à décrire des phénomènes inexplicables, des mondes interlopes, l’illusion que l’image qu’elle nous propose existe déjà, or ce n’est pas le cas. Les dessins de Chloé Poizat, dans lesquels se mêlent des références aussi bien à la culture savante qu’à la culture populaire et underground, découragent toute approche immédiate par un malicieux brouillage des temporalités et des codes visuels. Ces détournements ironiques, et un goût prononcé pour la mise en scène pourraient faire penser à un cabinet de curiosités post-moderne, un memorabilia foisonnant ponctué de collages d’inspiration surréaliste (Vacance Anthropique, La poursuite du lointain). Ainsi les dessins de Chloé Poizat ne se regardent pas, ils s’éprouvent, le spectateur restant partagé par le dualisme d’une pensée contemporaine rendant tout à la fois hommage à la Modernité et assumant le magnétisme exercé par des puissances primitives.

 

Chloé Poizat appartient à cette génération d’artistes, qui, à partir des années 90, réinvestirent la pratique du dessin en explorant les infinies possibilités du récit. Ce médium, s’il n’a pas été dénigré tel que ce fut le cas pour la peinture, resta à distance des questions esthétiques qui alimentèrent la critique d’art des années 60, en plein essor des mouvements conceptuel et post-structuraliste. Cette absence de théorisation permit aux artistes d’expérimenter le potentiel hautement narratif du dessin, ses emprunts à l’imagerie populaire, au vernaculaire et à la littérature constituant un monde de poésie à défricher, où l’irrationnel et le bizarre se mêlèrent à une irrépressible envie d’exprimer des émotions refoulées et une certaine quête d’authenticité. Le champ des possibles devint alors infini : en lien direct avec la pensée, le dessin est aussi simple et essentiel dans ses moyens qu’il est complexe et polysémique dans sa finalité. Décloisonnant le médium en le transposant sur un mur, conceptualisant de véritables installations graphiques où la disposition des oeuvres est aussi déterminante que le dessin lui-même, Chloé Poizat met en scène, dramatise et poétise son art en s’appropriant l’espace d’exposition, devenu vaste champ d’investigation plastique. Questionnant la matérialité de l’œuvre, sa finalité, la démarche de l’artiste s’inscrit assurément dans l’esthétique contemporaine en ce qu’elle participe à une nouvelle définition du dessin et de sa monstration, composant des univers dessinés voués inéluctablement à la disparition ou ravivant les cabinets d’amateur par un principe d’accumulation scénographique. Le tracé ou graphein - du grec ancien écrire, puis étymologiquement associé à l’image dessinée, d’où émergent tantôt des images, tantôt des textes - est un geste universel, voire atemporel : il évoque, il suggère, il se fait l’écho d’images enfouies dans notre inconscient collectif, qu’elles soient familières ou que l’on pensait avoir oubliées, tout en restant original et irremplaçable. Aucun tracé n’advient ex-nihilo, et si les recherches de Chloé Poizat s’inscrivent dans un courant esthétique d’appropriation ou d’archivisme, l’on pencherait plus volontiers pour l’idée d’une réécriture poétique, peut-être même automatique, lorsque ses sujets lui sont dictés par ces esprits archaïques que chacun d’entre nous porte en soi. »

Anne-Cécile Guitard, "Ces esprits qui nous gouvernent".

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