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#61

Géraud Soulhiol
ARCADIE
Exposition personnelle

05/03/2020 - 07/05/2020
Vernissage 05/03/2020, 18h

Texte de Julien Verhaeghe

VISITE VIRTUELLE

DOSSIER DE PRESSE

L’exposition Arcadie que présente Géraud Soulhiol à 22,48 m² est l’occasion de revenir sur une pratique centrée sur le dessin. Les quatre séries de compositions mises en avant figurent une variété de représentations qui tantôt s’appuient sur un réel immédiat, à l’instar des vols d’avions vue de dessus inspirés des photographies aériennes de Google Earth, tantôt sont conçues de toute pièce, en puisant dans l’imaginaire de l’artiste des paysages et des architectures inventées.

Les différentes compositions ont en commun une exécution minutieuse et la finesse des détails ; les formats relativement humbles font que l’ensemble de cette pratique porte la comparaison avec un art de la miniature. Le regard est alors encouragé à se pencher sur ces dessins et ces peintures, peut-être parce qu’il est pris de curiosité pour ce qu’il ne perçoit pas en premier lieu, à moins que cela ne soit pour s’ébaudir d’une forme d’adresse dans le geste qui consiste à rétrécir le monde. Ce même regard, cependant, est décontenancé, non seulement du fait que ce qu’il observe n’existe pas vraiment, mais aussi parce que des éléments subreptices interfèrent avec son désir d’interpréter. Les Mirages, par exemple, mettent en avant des ilots que l’on pourrait dire pastoraux. Les monts et les reliefs qui surgissent de l’eau sont assistés par la présence surplombante de nombreuses grues de construction ; ces dernières en paraissent étranges, presque surnaturelles, car elles dénotent avec un paysage inaltéré, aussi parce qu’elles ne diffusent aucun reflet à la surface des eaux. Les Mirages relèvent donc, comme leur nom l’indique, de l’illusion, de la même façon que l’on est induit en erreur par le cercle peint à même le verre qui recouvre l’œuvre. Celui-ci donne en effet l’impression d’avoir affaire à une lentille grossissante, cependant qu’il ne s’agit jamais que d’une couche de peinture.

Il y a, par conséquent, une sorte de paradoxe dans le geste de Géraud Soulhiol, dans la mesure où ses compositions appellent à une observation plus attentive, alors qu’elles aspirent à contrefaire l’acte de perception. On retrouve cette apparente contradiction dans les autres séries de l’exposition, selon différentes modalités, à l’image du triptyque Mouvement n°1 où les trois compositions semblent de prime abord identiques. Un coup d’œil plus appliqué permet de relever les différences d’orientation des grues de construction. Celles-ci ont d’ailleurs, et de loin, un air de pupitres d’orchestre musical. Elles signalent du même coup l’infime variation de matière qui distingue les choses, à condition de les voir à la bonne distance. La série des Palais joue également de cet intervalle entre identification et subterfuge, par exemple lorsque les structures architecturales se déploient selon des perspectives rigoureuses, tandis que les jeux de symétrie altèrent de façon souterraine le sentiment de réalisme. De ce fait, le regard est perturbé par le caractère résolument ordonné de ces constructions. II s’attend peut-être à relever une forme d’imperfection, un indicible je-ne-sais-quoi inégal mais caractéristique du réel, alors qu’à l’inverse, ces structures renvoient, au niveau de l’assise et de la contenance, à un sentiment d’achèvement. C’est aussi ce qui permet à ces structures de s’inscrire dans le registre des architectures utopiques.

Géraud Soulhiol admet cependant ne pas se focaliser sur les implications sociales ou culturelles des architectures qu’il élabore, ce que sous-tend, en règle générale, l’utopie. Ces Palais, qui possèdent une forme de monumentalité, négligent par exemple la dimension fonctionnelle accompagnant tout projet de construction. L’utopie est, en outre, neutralisée par les références à des archétypes architecturaux dont la physionomie ou le style sont reconnaissables. En retrouvant, entre autres, des références aux cathédrales occidentales, aux pyramides précolombiennes, aux architectures orthodoxes ou aux temples khmers, elle laisse place à une volonté de bâtir un paysage construit dont le propre serait d’associer une forme de créativité à un réel existant. C’est ce qui, du reste, permet de faire le lien avec le cartographe soucieux de traduire le monde avec vérité, alors que ses restitutions possèdent toujours une part d’arbitraire. De la même manière, si les lieux convoqués par Géraud Soulhiol font naître une géographie particulière, aussi est-ce parce que les noms qu’il donne à chacun de ses palais s’inspirent de l’Atlas Miller de 1519, dont certains motifs spéculent sur la réalité physique de diverses régions du monde, en fabulant l’existence de personnages ou d’animaux fantastiques, ou en attribuant à des cités imaginaires une appellation qui sollicite une mystique moyenâgeuse. Le caractère passablement ébréché des structures de Géraud Soulhiol renforce par ailleurs l’allusion à un temps révolu à travers la mise au jour d’une sémantique de la ruine. Cette dernière déroute d’autant plus un regard qui se tournerait vers l’avenir, en infusant une atmosphère marquée par une forme de mélancolie d’ordinaire propice à la rêverie.  

Pour le reste, on perçoit avec ces Palais peut-être davantage que dans les séries précédentes un mode de travail qui s’appuie sur une approche combinatoire et associative. Il s’agirait, pour Géraud Soulhiol, d’expérimenter des configurations à partir de prélèvements de la réalité, donc de procéder selon une logique du montage. C’est d’autant plus ce que l’on observe avec la série des Envols dans laquelle des vues d’aéroports glanées sur Google Earth sont reproduites sur des soucoupes à thé. L’attention est portée sur l’instant très singulier où des avions se situent à une hauteur raisonnable du sol, de manière à laisser une ombre apparente, tandis que le caractère circulaire du fond des soucoupes donne l’impression d’observer le monde à travers un hublot. L’artifice agit aussi dans le cas présent comme une manière de stimuler l’acte de perception, le travail de miniaturisation étant poussé à son extrême, de même que la précision des couleurs retranscrit jusqu’à la texture un peu blême des écrans que l’on tente de représenter par d’autres moyens. Immobilisés dans les airs et faisant corps avec des paysages synonymes de voyages, ces avions participent d’une sorte d’insouciance. Le regard qui s’évade rattrape ainsi la figure du rêveur solitaire tel que l’investit Géraud Souhiol, lui qui explique partir à la recherche de ces photographies d’avions sur le net comme on part à la chasse aux papillons. Cet aspect nous ramène à l’essentiel de son travail. Souvent exact et ordonné, parfois facétieux, il donne l’apparence d’une enquête picturale visant avant toute chose à piéger le regard de diverses manières ; surtout, il ramène le sens de la vision à une expérience où la réjouissance se mêle à l’évasion.

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